Trente six ans après les Kinks et leur hommage à la reine Victoria, un groupe écossais au moins aussi aristocrate se lance à l'assaut de la Prusse et de la médiocrité pop.
Franz Ferdinand ou la réunion de trois anciens étudiants en école d’art à Glasgow (Hardy, Thompson et Kapranos) bientôt rejoints par un guitariste originaire d’Allemagne (McCarthy). Alex Kapranos sourit : »Ma première rencontre avec Nick a failli être désastreuse. Nous nous sommes croisés au cours d’une soirée chez un ami commun. J’ai imédiatement repéré ce type bizarre car, discrètement, il avait essayé de me subtiliser ma bouteille de vodka. Je lui ai foncé dessus et nous avons failli en venir aux mains car il niait le vol avec un aplomb dingue. Plus tard, en discutant musique, nous sommes devenus amis ! » Au tout début, le groupe (nommé en référence à l’archiduc d’Austro-Hongrie assassiné à l’aube de la Première Guerre mondiale) prend ses quartiers dans un vieil immeuble art-déco de Glasgow pompeusement rebaptisé le Château. Cet endroit devient l’épicentre d’une communauté d’artistes en marge. Plasticiens cinglés, vidéastes expérimentaux et groupes pop underground, tous ceux forment la nouvelle vague écossaise se cotoient ici. C’est au cours de soirées rythmées par les descentes répétées de la police locale que Franz Ferdinand parfait son art de la pop song hystérique qui fait danser. La réputation de ces quatre dandys fascinés autant par »Les chansons des Sparks, que par la littérature de Guy de Maupassant et Honoré de Balzac » va alors dépasser le cadre de Glasgow. D’où contrat avec Domino (la maison de disques de The Kills et Smog) et chroniques enflammées dans le NME.
Voilà : Franz Ferdinand et leurs têtes de jeunes vieux deviennent la tendance inattendue du moment. Car ils sont arty et pétris d’influences eighties, on les promeut »réponse britannique à Interpol » (Paul Thompson : »Nous sommes seulement plus légers que ces derniers. Pour nous, une chanson est avant tout quelque chose de superficiel. Nous ne sommes pas profonds, mais dans le bon sens du terme ! »).
Car ils savent faire danser et chanter les filles, on leur fait une réputation de »cousins anormaux de The Rapture et The Strokes ». Car ils entrecoupent certains de leurs morceaux de discours surréalistes en allemand, on leur trouve une patine très vieille noblesse décadente européenne. Car Alex Kapranos écrit des paroles fiévreuses basées sur une observation minutieuse de l’homo ploucus, on l’imagine dernier descendant d’une école d’écriture britannique type Ray Davies, Morrissey, Jarvis Cocker.
Quoi qu’il en soit, le premier album de Franz Ferdinand, produit en Suède par Töre Johansson (déjà responsable du son des Cardigans), est la claque pop-rock sophistiquée du moment. Ce disque truffé de tubes cinglants a emprunté à la jeune vague new-yorkaise son immédiateté dansante et légèrement snob et y a adjoint avec candeur la fougue mélodique de la britpop. La hype est donc méritée, même si l’humble Alex Kapranos la réduit à de plus justes propositions : »Ce qui construit le groupe c’est une passion psychiatrique pour la musique. Notre discothèque déborde de : Abba, Specials, Orange Juice, Public Enemy… Nous voulons rendre à la pop les conseils de vie qu’elle nous a donnés. Nous voulons que les gens pensent que Franz Ferdinand est un groupe aimable, un de ceux qui procurent un plaisir instantané… et qui font réfléchir après. Notre nouvelle notoriété ? Disons que nous l’observons avec détachement amusé. Nous sommes au zoo ! ».
Jean-Vic CHAPUS
Franz Ferdinand, c'est bien cela. Un groupe énergique qui ne cherche pas à faire autre chose que de vouloir voir les gens danser et s'enthousiasmer devant leur musique.
Ja me souviens de la première fois que j'ai écouté Franz Ferdinand. C'était un soir, à la télé; une cassette enregistrée pour être plus précis. La veille j'avais pensé à enregistrer l'émission de Guillaume Durand, Traffic, car je me disais, "faut que je me tienne un peu au courant de ce qui se passe dans le monde de la musique en ce moment". Enfin bref. Ceci étant, j'ai appuyé sur play, vu plusieurs trucs dont je ne me souviens plus. Peut-être qu'il y avait Lenny Kravitz même sur le plateau en invité. Et là est venu le moment de découvrir un nouveau groupe écossais qui se préparait avant de jouer à l'antenne. Ca commence par une base de pop sympa. Du genre je me suis dit, "eh! C'est pas mal ça, c'est sympa!" (original comme réflexion). Et puis est arrivé le changement de rythme en plein milieu du morceau (c'était Take Me Out) pour enchaîner sur le refrain et le riff le plus connu de ce groupe actuellement. Ca a été une vrai révélation. Si si, je vous jure. Je sais pas, ça m'a pris par là, vers les tripes. Après quoi, ce passage de la casette, je me la suis passé en boucle toute la soirée tellement j'avais envie de retrouver cette sensation. Du bonheur.
Aujourd'hui, je regrette bien qu'il soit autant connu d'un public aussi incrédule, mais en même temps, tant mieux pour Franz Ferdinand.